l’Opinion
26 février 2020 à 12h45
Airbus, Dassault et Leonardo sont censés se mettre d’accord d’ici la fin du mois de février pour présenter un projet au gouvernement français le 2 mars prochain. Or l’entente entre les partenaires semble compromise

© Bastien Louvet/SIPA
Le projet de drone européen est-il sur le point de tomber à l’eau ? La
question est soulevée par Les Echos, qui détaillent les difficultés d’Airbus,
Dassault et Leonardo à s’accorder sur le sujet. « L’EuroMale », tel
qu’il est supposé être baptisé, pourrait ne jamais voir le jour.
La conception d’un drone européen de moyenne
altitude et de longue portée (Male) est sur les rails depuis mai 2015. Les
ministres de la Défense français, allemand et italien avaient signé à Bruxelles
une lettre d’intention pour son développement. Le fameux « eurodrone » devait
servir de vitrine à la coopération européenne en matière
de défense. Un fonds européen a même été créé à cet effet, et doté
de 500 millions d’euros dans une phase pilote en 2019 et 2020, explique le
titre économique.
Divergences. Depuis 2017, c’est à l’Allemagne qu’a échu le
leadership sur l’«eurodrone ». Côté industriels, Airbus est le maître d’oeuvre,
Dassault et Leonardo des co-contractants. Partisane d’une double motorisation,
l’Allemagne a contribué à faire augmenter la taille du drone. Avec cette
configuration, « l’EuroMale » pèserait 11 tonnes, ce qui est loin de
ravir les services de l’armée de l’Air française. Ils craignent par exemple que
l’appareil ne puissent pas pénétrer certains hangars. La ministre des
Armées, Florence Parly, a fait
savoir qu’elle ne souhaitait pas financer un « éléphant blanc », soit un projet
prestigieux qui s’avère plus coûteux que bénéfique.
Le prix d’un tel projet est effectivement source de tensions. Au printemps 2019, la première version présentée a été chiffrée à hauteur de 9 milliards d’euros. Cette somme englobe le développement, la production et l’entretien des appareils, précisent Les Echos. D’après le quotidien, Airbus aurait réussi à abaisser la facture d’un milliard d’euros depuis. Mais les indicateurs ne sont pas au vert. C’est l’Occar (Organisation conjointe de coopération en matière d’armement) qui tranchera, et choisira ou nom de passer un contrat pour « l’EuroMale » au printemps 2020.
Drones de combat : la Cour des comptes épingle un fiasco français
(Par Louis Nadau)
Dans leur rapport annuel, publié ce mardi 25 février, les magistrats de la Cour des comptes s’alarment du retard français en matière de drones, et pointent du doigt une faillite politique, militaire et industrielle.
C’est ce qu’on appelle louper le coche. Dans son rapport annuel, publié ce mardi 25 février, la Cour des comptes fait état du retard accumulé par les armées françaises sur l’un des grands chamboulements de la guerre moderne : les drones. Le rapport pointe du doigt une « rupture stratégique mal conduite » s’agissant de ces engins sans pilote.
RETARD À L’ALLUMAGE
« La
France a tardé, malgré la solidité de son industrie d’armement, à s’équiper, du
fait de projets ponctuels, conduits sans vision stratégique cohérente sur le
long terme« , tancent les magistrats-enquêteurs, regrettant
qu’aujourd’hui encore, « malgré une accélération de la politique
d’acquisition, le parc de drones militaires français reste limité,
comparativement à celui d’autres pays« .
L’intérêt
des drones n’est pourtant plus à démontrer : « Ils offrent l’avantage de
la permanence en vol (une grande autonomie par rapport à un avion de
chasse ou un hélicoptère, ndlr) et la possibilité d’opérer
en milieu hostile, sans risque de perte humaine, du fait de l’absence
d’équipage à bord, et ce, pour un coût limité, d’acquisition, d’entretien et
d’emploi« , résume la Cour des comptes. Mais ce n’est pas tout : dans
un futur proche, les drones pourront voir la palette de leurs missions
agrandies : transport logistique, ravitaillement en vol, relais de
télécommunication… Les drones devraient, d’ici quelques années, évoluer en
essaims articulés autour d’un avion de combat, comme le futur Scaf
franco-allemand, présenté l’été dernier au Bourget.
Pour
la Cour des comptes, la prise de conscience a été trop tardive : « Il
faut (…) attendre l’engagement de systèmes ‘intérimaires’ en
Afghanistan à la fin des années 2000 pour que soit emportée la conviction de la
nécessité des drones dans les opérations militaires. » Et nous sommes
encore loin du compte : « Rapportés aux investissements annuels du ministère
des Armées dans les programmes d’armement sur la période récente, les montants
totaux dédiés aux drones n’ont jamais représenté plus de 2 % de l’effort global« ,
constate le rapport.
Concrètement,
à quoi ressemble le parc de drones français aujourd’hui ? Il se divise en trois
grands types : des drones armés opérés par l’armée de l’air, capables de lancer
des missiles, désignés par l’Otan sous l’appellation MALE, pour « moyenne
altitude, longue endurance », des drones dits « tactiques », qui
servent à la reconnaissance et à la surveillance pour l’armée de terre – le
très prometteur drone Patroller, construit par Safran et qui entrera sous peu
en service, pourrait être armé à l’avenir -, et enfin des petits drones
« de contact », utilisées pour la reconnaissance, mais à l’échelle
d’une unité.
UNE AUTONOMIE STRATÉGIQUE COMPROMISE
Or,
pour remplir ces différentes missions, la France utilise pour l’heure du
matériel vieillissant, bien souvent de fabrication étrangère, et en quantité
insuffisante. A ce titre, l’exemple le plus frappant est celui des drones
d’attaque, les fameux MALE.
Faute
de développement d’un programme national en temps voulu, la France à dû se
résoudre à acquérir des drones dérivés d’un modèle israélien au début des
années 2000, aboutissant sur le système Harfang. « Plus long et plus
complexe que prévu, l’achat sur étagère a évolué vers un contrat de
développement technologique, qui a généré surcoûts et retards« , note
la Cour des comptes. Ce programme, initialement pensé comme transitoire, est finalement
devenu permanent. Et ce, même si, comme le relèvent les magistrats, « le
déploiement de ces matériels, en Afghanistan notamment, alors qu’ils n’avaient
pas été conçus dans la perspective de telles opérations, s’est révélé coûteux
au regard de leurs apports opérationnels« .
Mais
cette première expérience ne semble pas avoir servi de leçon : en 2013,
l’intervention française au Mali pousse la France à acquérir dans l’urgence le
drone américain Reaper, fabriqué par General Atomics. Entre 2012 et 2020, alors
que son activité a été multipliée par dix, la flotte de l’armée de l’air sera
passée de quatre drones Harfang à 11 Reaper, les six derniers devant désormais
être livrés en 2020, alors qu’ils étaient attendus courant 2019.
« Cette
décision s’est inscrite dans le contexte du moment, celui d’un besoin
opérationnel à satisfaire dans des délais resserrés, des hésitations répétées
des pouvoirs publics et des industriels, et alors qu’étaient en balance
plusieurs options y compris nationales« , soupire encore la Cour des
comptes, qui pointe les « atteintes à l’autonomie stratégique et
industrielle » induites par cet achat en catastrophe. « Les deux
premiers systèmes livrés à la France ont été prélevés sur les chaînes de
production dédiées à l’armée de l’air américaine et donc dans une version non
dédiée à l’export« , explique le rapport. Rappelons que lors de la
vente d’avions militaires, il est fréquent qu’un constructeur lié aux armées de
son pays d’origine – comme Dassault et l’armée de l’air – ne propose à l’export
qu’une version « dégradée » de l’appareil, par exemple en matière
d’équipement radar, afin de garder secrètes ses caractéristiques les plus
sensibles.
De
sorte que les Etats-Unis, soucieux d’être les seuls à pouvoir exploiter le
drone Reaper à son plein potentiel, ont exigés des « critères de
sécurité et des restrictions d’utilisation« . « En matière
d’emploi, le déploiement en dehors de la bande sahélo-saharienne [est] soumis
à l’autorisation des Américains », détaille par exemple la Cour des
comptes. L’armée de l’air s’est ainsi retrouvée dans une situation ubuesque :
le rapatriement du Niger des drones Reaper vers la base de Cognac, qui héberge
l’escadron de drones 1/33 Belfort, a nécessité un accord américain préalable,
attendu pendant des mois ! Cerise sur le gâteau : la maintenance de ces drones
est assurée exclusivement par General Atomics, tandis que la formation des
opérateurs de drones dépend de la filière de formation yankee, déjà « très
encombrée » par les élèves américains.
UN NAUFRAGE EUROPÉEN
Rebelote
donc, et bientôt dix de der’ ? Il semblerait. Alors que la France avait su, par
le passé, prendre ses distances lorsqu’elle se voyait embarquée dans une
coopération européenne bancale – les différences dans les cahiers des charges
de chaque partenaire, comme pour la conception du chasseur Eurofighter Typhoon,
entraînant surcoût, retards de développement et compromis capacitaires -, elle
se trouve, en matière de drone d’attaque, embourbée dans le programme EuroMale.
Ce dernier, lancé en 2004 à l’initiative de la France, est tout simplement sur
le point de capoter.
La
Cour des comptes ne cache pas son inquiétude : « Les difficultés du
projet qui s’amoncellent doivent inciter à la plus grande vigilance. Les
approches différentes en termes de besoins opérationnels entre la France et
l’Allemagne (…), les retards comme les coûts annoncés par les industriels – de
près de 30 % encore supérieurs au prix attendu par le ministère des Armées –
considérés à ce stade comme inacceptables par les pays partenaires, sont autant
de signaux d’incertitude sur la capacité du projet à aboutir dans de bonnes
conditions« , peut-on lire dans le rapport annuel.
Et les
pensionnaires de la rue Cambon de se morfondre : « La conséquence
principale des échecs répétés en matière de coopération est une solide
implantation de drones étrangers dans les armées européennes : américains, dans
le cas du Royaume-Uni, de la France, de l’Italie, de l’Espagne, des Pays-Bas et
de la Belgique, et israéliens dans le cas de l’Allemagne. » Alors que le
ministère des Armées doit trancher dans les prochaines semaines sur la
pérennité du programme EuroMale, les drones Reaper ont pour leur part de beaux
jours devant eux, puisque le retrait du service n’est plus envisagé désormais
qu’entre 2032 et 2036. Las, l’incurie ne se limite pas au drone armé de type
« MALE ». Un exemple parmi d’autres : tandis que des expérimentations
prouvaient dès 2010 l’intérêt des drones pour la surveillance maritime, la
marine nationale attend toujours son drone tactique, dont la livraison a été
plusieurs fois retardé et devrait désormais attendre… 2028 !
Qui
est responsable de cette incurie ? Les militaires mettent en avant auprès de la
Cour des comptes le temps nécessaire au développement du matériel et d’une
doctrine pour l’utiliser. Mais les magistrats soulignent aussi « des
causes plus profondes et cumulatives » aux lacunes françaises : si la
résistance culturelle à l’idée même d’employer des drones mettant les pilotes
sur la touche a eu son rôle dans l’armée de l’air, c’est toute la chaîne
politique, militaire et industrielle qui a failli. Le rapport dénonce en effet
« un manque de constance et de cohérence dans les choix industriels,
capacitaires et diplomatiques des pouvoirs publics« , une « absence
de vision stratégique et de planification de moyen terme » des
états-majors, et enfin « des rivalités entre industriels, qui ont abouti
à une forte concurrence intra-européenne dommageable« . Un air déjà
trop bien connu dans l’histoire militaire française…